« Le résultat du scrutin américain doit nous inciter à accélérer la collaboration du Royaume-Uni avec l’Union européenne »

Tribune écrit par Stella Creasy et Sandro Gozi dans Le Monde le 11 décembre 2024

Face à l’inquiétante montée des extrêmes droites aux Etats-Unis et en Europe, l’eurodéputé (Renew) Sandro Gozi et la présidente du Mouvement travailliste pour l’Europe, Stella Creasy, appellent, dans une tribune au « Monde », à un programme ambitieux de coopération pour réparer les dommages causés par le Brexit.

Dans les années 1930, [le philosophe communiste italien] Antonio Gramsci [1891-1937] avait prévenu que l’ancien ordre était en train de mourir et que le nouveau monde était en train de lutter. En 2024, le paysage politique est fortement bousculé, ouvrant les portes au chaos que craignait le philosophe. Pendant trop longtemps, beaucoup ont espéré que la montée des extrêmes pourrait être ignorée et que l’opinion ne serait pas influencée.

Après les élections américaines et alors que les partis d’extrême droite gagnent du terrain en Europe, tous ceux qui chérissent la liberté doivent s’engager à lutter pour une politique qui libère le talent et non la haine. Pour nous, cela signifie que la priorité doit être la future relation entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni.

Nous ne pouvons défendre la démocratie et l’Etat de droit si nous ne les valorisons pas. Si nous n’aurions pas voté pour le candidat républicain Donald Trump, nous ne pouvons ignorer le résultat du scrutin américain. Le président Trump doit être respecté pour gouverner et le monde doit s’engager avec lui en conséquence. Mais cela ne signifie pas que nous devrions être silencieux ou complaisants.

Des parties affaiblies à cause du Brexit

Un dirigeant qui menace d’augmenter les frais de douane de façon généralisée risque de nuire à la croissance économique. Un dirigeant qui se range du côté de Poutine et encourage Nétanyahou à aller encore plus loin risque de compromettre la paix partout dans le monde. Un dirigeant qui estime que la crise climatique est un canular et que l’énergie verte est une escroquerie risque de nuire à la planète.Â

Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, il n’a pas seulement abandonné le plus grand bloc commercial du monde. Il a aussi quitté la salle où sont prises les décisions qui affectent notre sécurité mutuelle, le climat et l’égalité. Qu’il s’agisse de protéger l’avenir de l’Ukraine, d’Israël ou de la Palestine, de gérer la nécessité d’une transition de nos économies ou de relever le défi de la migration, les deux parties sont aujourd’hui affaiblies en raison de cette rupture.

Le dernier gouvernement britannique a pris le BrexitÂcomme une permission d’isoler, en construisant de nouvelles barrières commerciales à ses frontières au nom de la « Global Britain ». Le nouveau gouvernement a clairement indiqué qu’il donnait la priorité à la collaboration avec ses voisins, et non aux griefs du passé. Le résultat du scrutin américain doit nous inciter à raisonner différemment et à accélérer. Les projets de pacte de coopération en matière de défense et de sécurité reflètent, dans un monde incertain, la manière dont nous sommes plus forts ensemble.

Renforcer notre confiance mutuelle

Alors que le monde attend l’investiture du nouveau président [le 20 janvier 2025], il n’y a pas de temps à perdre pour développer cette approche. Il ne s’agit pas d’un appel à de longues négociations de traités pour annuler le Brexit mais d’un programme ambitieux pour réparer les dommages causés à nos avenirs communs. Quoi que fasse Trump, la façon dont nous travaillons en Europe nous permet d’être mieux protégés contre les chocs économiques, sécuritaires et climatiques.

Qu’il s’agisse de rejoindre le partenariat paneuropéen pour la Méditerranée, l’accès au marché unique, un accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), des programmes de mobilité pour aider les travailleurs et les étudiants de tous âges, des investissements conjoints dans la recherche et les énergies renouvelables ou un dialogue sur l’intelligence artificielle, beaucoup de choses peuvent être réalisées rapidement s’il y a une volonté politique.

De même, la volonté de mettre en œuvre ce que nous avons déjà convenu et de trouver des solutions sur des questions non résolues telles que la pêche ou l’énergie est essentielle pour renforcer notre confiance mutuelle. Mais si nos esprits doivent être focalisés sur l’évolution des événements aux Etats-Unis, nos méthodes doivent l’être aussi.

Une véritable réforme prend du temps

Dans tous les pays, les rumeurs affirmant que la démocratie est surfaite s’amplifient, avec des conséquences dans les urnes. Cette année, pour la première fois, tous les partis en place confrontés à une élection dans un pays développé ont perdu des voix. Les électeurs, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne veulent plus élire les mêmes et ne veulent pas être exclus. Ils ont soif de changement et de résultats radicaux.

Cent vingt-sept jours seulement se sont écoulés depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement travailliste au Royaume-Uni et les sondages montrent déjà que l’opinion est mécontente. D’autres gouvernements en Europe sont confrontés à des défis similaires, avec des citoyens de plus en plus impatients ou désillusionnés.

Une véritable réforme prend du temps, nos défis politiques sont complexes et notre administration est dépassée. Ceux qui ne proposent que la haine n’ont pas de solutions, mais ceux qui nient la nécessité de faire les choses différemment n’ont aucune chance de réussir non plus. L’heure n’est plus à une réflexion audacieuse mais à celle des méthodes de travail audacieuses.

Responsabilité et transparence

Delegation to the EU-UK Parliamentary Partnership Assembly Constitutive meeting

En qualité de parlementaires, nous entendons l’appel à reprendre le contrôle – l’avenir de l’Union européenne et du Royaume-Uni ne peut être décidé à huis clos. Quel que soit le résultat obtenu, il ne fera qu’enhardir ceux qui sèment le mécontentement à l’égard du processus politique lui-même.

L’assemblée parlementaire de partenariat entre l’UE et le Royaume-Uni remplit ce rôle, mais aucun membre britannique n’a encore été nommé, ce qui signifie qu’elle ne peut commencer ses travaux. Il est urgent de s’attaquer à ce problème afin que, de la base à nos capitales, la responsabilité et la transparence soient solidement ancrées dans nos méthodes de travail.

Nous exhortons tous ceux qui croient au pouvoir de la liberté et au potentiel de l’humanité à montrer que, même lorsque la peur et le chaos l’emportent, l’Europe peut à nouveau être un lieu où un autre monde est possible. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons travailler ensemble pour ouvrir une nouvelle ère d’espoir.

Stella Creasy (Présidente du Mouvement travailliste pour l’Europe) et Sandro Gozi (Eurodéputé, Renew)

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